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Lenverre
25 juin 2008

[ça passe le temps ça passe]..........

Drôle de métier. Même si y a pas de sot métier, hein, c'est pas ce que je dis, mais drôle de métier. D'un autre côté, c'était ça ou l'abattoir.

Je me souviens, je venais d'être embauché, un soir ça sonne à la maison, la mère va ouvrir, elle me crie du fond du couloir : "c'est monsieur Berçot !". Le directeur de l'abattoir chez nous, ben vlà autre chose que je me suis dit. Et là, ni une ni deux, il me propose un poste de tueur. Et bien payé avec ça ! J'avais laissé ma candidature, et puis mon oncle Alain était un de ses copains d'enfance, alors quand le vieux Marcel Paroletti a passé l'arme à gauche (à deux ans de la retraite, s'étouffer en avalant de travers un morceau d'œuf dur, c'est vraiment pas de veine), il est venu me chercher pour le remplacer. Moi, je venais de signer mon contrat à l'usine et puis tuer des animaux, même proprement et sans souffrance comme il disait Berçot, ça m'enchantait pas plus que ça. Quand il a été parti, on en a parlé avec la mère. Elle, elle aurait bien voulu que je choisisse l'abattoir, pour la paye, et puis elle disait aussi que ce serait plus varié, mais elle a pas insisté longtemps, elle a compris que ça me rebutait. Elle a murmuré comme ça : "c'est vrai que t'es pas fait pour ça. Quand je me souviens comment que tu t'es rendu malade quand Toto est mort".

carambar06

Mon Toto ! Un brave con de chien, un bâtard que mon père nous avait ramené de la pêche. Ah il y avait pas toujours d'ablettes dans l'épuisette mais ce jour-là, y avait bien de l'animal sous le manteau, une toute petite truffe trempée, une gueule qu'on aurait dit un gros rat poilu avec des bons yeux bruns. Il m'a tout de suite reléché de la tête aux pieds, la mère a un peu rouspété mais le père a dit : "je pouvais quand même pas le foutre à l'eau ! il a passé la journée assis à me regarder et quand j'ai voulu partir il m'a suivi. Je lui ai donné un coup de pied ou deux, je lui ai même balancé un caillou, il est revenu, il a aboyé un p'tit coup et puis il a marché tout le long à côté de moi. Alors on le garde." Il était gentil mon père -je suis même sûr qu'il lui a jamais rien lancé d'autre qu'un bout de son casse-croûte à Toto- mais quand il disait quelque chose sur ce ton-là, y avait pas à discuter, c'était comme ça et pas autrement.

On l'a gardé le Toto, et c'est vite devenu mon chien à moi. Il me quittait pas, sauf pour l'école bien sûr et encore, parce que ma mère le retenait par le collier quand je partais. Alors oui que j'ai été triste le jour où on l'a retrouvé empoisonné, forcément ! j'ai mis des semaines à m'en remettre, même que le père voulait me trouver un lapin ou un chat, pour compenser. Mais j'ai dit non, même à un autre chien j'aurais dit non, ça aurait été trahir mon copain, lui il m'aurait jamais remplacé si j'étais passé sous un bus. Toute façon après, c'est le père qui est mort alors il n'était plus question d'avoir un animal à la maison. N'empêche, pour Toto, je suis sûr que c'était la mère Mancel qui lui avait fait bouffer son dernier ragoût, elle pouvait pas le saquer parce qu'il allait faire sa crotte dans ses rosiers. Ça leur faisait de l'engrais à ses saloperies prétentieuses pleines d'épines ! Ce qui me console c'est qu'après, quand Toto est mort, ils sont devenus tout miteux ses machins. J'étais sûr que c'était la punition du bon dieu ; mais ça n'allait pas assez vite alors j'ai aidé ; Ça n'aime pas beaucoup l'eau de Javel, les rosiers, je peux vous le garantir…

Elle avait raison, la mère, j'étais pas fait pour tuer des animaux, même des vaches, même des cochons. J'étais pas la mère Mancel, moi. Alors j'ai choisi de rester à l'usine. Il a fini par la filer au fils Egloff, sa place, Berçot. Pour lui c'est pas pareil, ça doit être plus facile, il voit pas les choses de la même façon que tout le monde, il est un peu poète, on m'a même dit qu'il écrivait des histoires. Il doit s'imaginer ailleurs, quand il tue.

Toute façon, je ne regrette pas. Je m'y plais bien, je connais tout le monde. Le matin, quand j'arrive, tout le monde me récrie : "eh oh Pépé, t'as oublié ton peigne ?", faut dire que je suis chauve maintenant, "Oh Pépé toujours le roi de la pédale ?", faut dire que je fais toujours les 2 kilomètres et demi dans Marcq, jusqu'à la rue de la Chocolaterie sur ma bécane ; des blagues à deux balles quoi. Mais le plus souvent c'est "salut Pépé !" et une poignée de mains, deux bises des filles. Ça me manquerait. Ils m'appellent Pépé rapport à mes initiales, ils sont pas allés chercher bien loin, Philippe Pautrin : P P.

Et puis il y a Nathalie. Elle bosse aussi là-bas, on est ensemble depuis six ou sept ans, maintenant. Enfin… quand je dis "ensemble", on sort, quoi. Des fois elle passe le week-end dans mon appartement, mais elle veut pas venir s'installer, même pour l'économie, elle dit qu'on ne se supporterait pas tous les jours. On pourrait trouver autre chose que son F3 ou que mon deux pièces. C'est vrai qu'il n'est pas pratique ; déjà quand on est deux, on se marche un peu dessus et puis une femme ça a besoin d'une vraie salle de bains, pas seulement d'une cabine de douche. Et l'avenue de la République, elle est bruyante. Mais moi, je crois que ses gamins ne m'aiment pas trop, c'est ça le souci. Surtout la grande ! elle me jette de ces regards ! L'autre jour, c'était l'anniversaire de Nathalie, on a passé la soirée tous ensemble et je suis resté pour la nuit. C'est pas souvent, hein ! Quand j'ai croisé Sandrine le lendemain dans le couloir, elle s'est mise à hurler à sa mère : "tu pouvais pas le dire qu'il restait là, celui-là ? Je me promènerais pas à moitié à poil pour qu'il puisse me regarder avec ses sales yeux de pervers !". Des yeux de pervers ! A moitié à poil ! Tu parles ! Elle avait un tee-shirt qui lui arrivait jusqu'aux genoux ! Toute façon, pour ce qu'il y a à voir ! A 13 ans, elle a pas grand chose à planquer et je ne me suis pas gêné pour le lui dire. Du coup, c'est à moi que Nathalie a fait la gueule. Elle commence tout juste à se radoucir. Bah, c'est pas que ça me dérange plus que ça dans le fond, de temps en temps ça fait pas de mal un peu de distance, ça repose et les réconciliations ça redonne un coup de fouet.

En plus, comme ça, j'ai eu un peu plus de temps à moi et j'ai rencontré quelqu'un d'autre. Enfin… "rencontré", c'est pas vraiment le mot. C'est une fille sur le Net. Elle a juste mon âge. Je cherchais la recette des beignets que je mangeais quand j'étais môme, je voulais me lancer parce que j'en avais vraiment très envie et qu'il n'y a plus personne pour les faire à ma place, cette fois. Et je suis tombé sur son blog. Il est sympa, un peu fouillis mais bon... Y a des tas de couleurs, des photos pas trop mal même si on sent bien qu'elle fait ça au petit bonheur la chance. Sa recette des bugnes est terrible, encore meilleure que celle de la mère. Le souci c'est qu'elle peut pas s'empêcher d'écrire des trucs pour aller avec ses recettes ! En plus, ils sont que trois ou quatre à les commenter et je suis pas sûr qu'ils les lisent ! Moi j'ai bien essayé mais la lecture ça n'a jamais été vraiment mon truc et puis... c'est long ! Tu te demandes où elle va chercher tout ça… Des fois, elle bricole des images sur son ordinateur, pour illustrer, elle doit vraiment avoir que ça à faire...

Je l'ai contactée pour la remercier de sa recette ; c'est surtout parce qu'elle avait mis une photo d'elle toute petite qui me faisait penser à une copine de classe à moi que j'aimais bien, Carole. Après je l'ai entrée dans mes contacts MSN et de temps en temps on parle un peu. Elle est bizarre mais j'aime bien, ça passe le temps. Enfin, faudrait pas que je m'attache trop, parce qu'en plus d'être spéciale, elle est mariée. Toute façon, si ça se trouve, elle est moche comme tout, sa bouille de gamine ça veut rien dire, on change. La preuve : quand j'ai revu Carole, la petite mignonne du primaire, je l'ai pas reconnue tellement elle avait changé. Bon et puis cette fille, là, Annie, avec tout ce qu'elle cuisine, elle doit pas être toute mince, hein ! C'est bête parce que moi, j'aime pas les grosses, ça me dégoûte même un peu. Enfin bon, on n'en est pas là. Je lui raconte ma vie et elle en redemande ! elle a l'air de trouver mon boulot intéressant ! Elle veut même me dédier une de ses recettes à cause de ça… qu'elle dit ! Mais moi je crois qu'elle me drague…

Parce que tout de même… contrôleur de Carambars -c'est les gens qui appellent ça comme ça, en fait c'est contrôleur tout court, il n'y a pas que des Carambars non plus !- drôle de métier, oui… mais il n'y a tout de même pas de quoi en faire tout un plat. Si ?

controleur

Ecrit et illustré le 19/5/7 pour dedicacessen

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