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Lenverre
25 juin 2008

[Sous mes paupières, yallah]..........

billet05Ecrire tout de même un peu de Marrakech, essayer. Dans le désordre, par flashs, comme ça me revient, en vrac.

Organique. Donc. Tout à la fois coeur, foie, poumons, reins, intestins, la ville se délite et se régénère, gagne sur les hommes. Elle sombre en terre, elle rejaillit au ciel, elle mange, bat, respire, chie et meurt, renaît. Elle ronfle, fourbue, elle murmure, hypnotique, elle hurle, hystérique, elle chante, vivante. Elle s'étouffe, elle rejette, rampe et aspire, planque des trésors en ses plis secrets où s'entête la précieuse humidité, montre ses cicatrices obscènes, raconte ses accouchements, dévore ses enfants, caresse le visiteur et l'enivre. Une entité infiniment sensorielle, dépendante des hommes et impérieuse pourtant, qui les domine et les malmène, comme un navire brinquebale son équipage sur la tempête. Un chant effréné, essaimé de notes en forme de couteaux, de gouffres, d'oasis aussi.

Les souks
L
e souk déserté par les touristes après une journée de pluie. Les lattis de bambou qui laissent passer de grosses gouttes d'eau déjà vieille sur le carton de mes pâtisseries orientales. Un nain en costume nous salue à l'entrée. Des cyclos d'un autre âge. Un vélo Peugeot décati, est-ce que c'est ma mère qui a peint le filet sur le garde-boue avant, désormais presque invisible ? Les couleurs des babouches et des tissus, éclatantes comme des cris de joie. Des ânes me frôlent, l'odeur des ânes. Les hommes qui les mènent depuis leurs carrioles surchargées, claquent leur langue au palais pour qu'on se pousse. D'autres sifflent. Bousculés, agrippés. "juste pour le plaisir des yeux !". Mustapha Couscous, herboriste, je ressors de chez lui chargée d'ambre, de ras-el-hanout, d'huile d'argan. Il dit que je dois être berbère, dure en affaires. Lui et le chéri se racontent leur vie, rient, on boira le thé vendredi ?

La pluie par terre est en flaques noires. Des balais la poussent sur des bouches d'égout recouvertes de cartons, je m'y prends les pieds. Les chevilles sont maculées et les chats qui ne s'y frottent pas, aussi. Un autre est perché juste sous le toit, il se lave soigneusement, il doit être blanc sous la crasse, les yeux étirés en fentes dans la parenthèse de favoris bien peignés, il a l'air repu malgré sa maigreur. Les odeurs, la racine de safran, l'argan, le cumin, la coriandre, les chèvres, leurs peaux mortes, la viande de la journée sur laquelle les mouches dansent ; les chats toujours qui attendent l'aumône. Un enfant assis par terre dans la boutique de tissus de son père, il joue avec une immense bobine de fil rouge, tout en guettant du coin de l'oeil une télévision cachée à sa hauteur au milieu des étoffes. Les doigts collent sur le miel des pâtisseries. Tournis entre le bleu qui tente de revenir au ciel et celui des bâches en plastique qui ne protègent pas, menacent de rompre sous le poids de l'eau retenue. Une minuscule femme de 150 ans au moins me regarde en me croisant, ses yeux comme des corbeaux planant dans un ravin. Eviter la merde des ânes. Le bruit est un compagnon toujours différent, les djellabas et leurs fils d'or, fils d'Ariane dans le dédale. Le bois poli, verni, lisse sous la main, les luths de la musique des dieux.

billet02

Le vacarme insupportable et métallique, le quartier des ferronniers. Noir et gris, le monde n'a plus de couleurs, le martèlement régulier. La stridence des soudures, les étincelles brûlantes sur nos mollets qui passent. Des hommes lèvent les yeux, les touristes ne viennent guère. Sur leurs yeux, de simples lunettes de soleil pour souder. Un plus vieux a le regard blanchi et reste assis sans rien faire dans la boutique qui ressemble à une cave, pas d'autre ouverture que la porte. Terry Gillian nous montre les ateliers de Vulcain. On ne peut pas faire semblant, les enfants qui sont là travaillent, le marteau à quelques centimètres de leurs orteils nus sur la limaille de fer. De leurs doigts sortent des paravents, lustres et moucharabiehs pour palaces. La splendeur naît de l'enfer. Au-dessus de leurs têtes, et partout autour, des monceaux d'objets hétéroclites à recycler, qui menacent de s'écrouler. Un sculpture insolite surgit, le squelette d'un mannequin de couturier auquel on aurait greffé huit pattes d'araignée ou de divinité hindoue. Les nuages ont repris le dessus, gris sur gris, la vie est en bichromie, l'air rouille. Mon cœur bat-il encore ? comment le saurais-je il y a tant de fracas et d'ailleurs, qu'importe ? Un rêve en marche, inquiétant et bruyant, étourdissant. Soudain, dans l'obscurité, la flamboyance insensée de deux soleils côte à côte. L'un est bleu ; d'un indigo vibrant qui ne peut exister que là et l'autre à le cœur Mondrian, couleurs primaires, brutales. La beauté sublime de ces deux appliques ! Les rayons torsadés, torturés de ces astres-là, comme des barbelés autour de leurs centres incandescents ! Emerveillée... Je les veux ! Un prix dérisoire mais ils sont si énormes… Impossibles à transporter, à la réflexion. On s'excuse, je les garde encore sur la rétine. Ces deux ponctuations si inattendues, ces jaillissements de couleurs au milieu de la poussière incolore, n'ont pas leur place ailleurs. Où seraient-ils plus beaux d'une beauté en contraste, insoutenable ? Où éclaireraient-ils mieux le brouillard ? Quelques pas plus loin, le souk nous recrache sans prévenir à la ville, stupides.

La circulation
H
éler un taxi. Une 205 beige, on devrait dire ocre. Tous les taxis sont beiges, on devrait dire ocres. 2000 taxis dans Marrakech, les voitures dont ne veulent plus les Européens. On monte, 10 dirhams pour nous ramener à l'hôtel. Peluche rouge sous les fesses, un perroquet en éponge décolorée accrochée au rétroviseur. Les portes sont tapissées de têtes de panthères. C'est parti, au Klaxon, on ne conduit pas à Marrakech si on ne klaxonne pas. On s'insinue, on se fraie un chemin aléatoire et improbable. Les rues grouillent de monde, un vieil homme passe en mobylette, la capuche de sa djellaba lui fait une drôle d'auréole, il rit à tue-tête, il hurle de rire, la bouche grande ouverte, les gencives nues, il a l'air d'avoir trouvé sa porte de sortie. Il y a toujours une espèce de brume impalpable, on se demande si ce n'est pas nous qui avons les yeux brouillés de fatigue, non c'est bien la pollution qui nimbe le mouvement perpétuel de la ville, le souligne. Notre taxi embarque un troisième passager qui criait "Guélitz !" sur le bord de la route. On double, on klaxonne encore. Entend-on l'avertisseur de l'autre ou le sien devient-il une espèce de grigri ? La peur du choc qui ne saurait manquer d'arriver, nous écraserons-nous contre un camion chargé d'ouvriers, contre un bus rempli de touristes, sur le mur d'un palace, contre une benne à ordures, faucherons-nous une femme aux mains pourtant peintes de henné porte-bonheur, un enfant mendiant, un porteur d'eau, une européenne à sac à dos, ou plutôt une à lunettes d'écailles sur cheveux trop blonds ? Un cycliste dérape sur la chaussée rendue huileuse par la pluie. Nous le contournons, il se masse le bas du dos, remonte sur son engin, dérange, on le klaxonne, il repart. Les sirènes, le roi est de passage. Piétons sur la chaussée, combien de files sur ce rond-point ? les chevaux ont l'air exténués et absents, sourds peut-être ; sur une motobécane, une famille entassée : l'homme conduit, la femme est sur le porte-bagages et tient entre lui et elle, assis à califourchon dos à son père, un enfant ravi serré contre son coeur. Le manège s'arrête à la porte de l'hôtel, on en descend un peu écoeuré, charmé, ivre.

billet03

Ecrit et illustré le 9/5/7 pour dedicacessen

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